C’est
un véritable enseignement de la mise en scène de théâtre qu’ils recèlent, si
l’on veut bien se pencher sur eux et se laisser aller à la découverte de
l’univers minutieux et complexe des pièces qu’il a travaillées et présentées au
public. Mais c’est aussi une conception du théâtre que ces cahiers
transmettent, un théâtre qui n’est pas le fruit d’une théorie abstraite, mais
une lente élaboration, émanant du travail d’une équipe d’artistes aux talents
divers, qu’on voit progressivement se former pour chacune des pièces.
De cette élaboration, Laurent Terzieff
était le Maestro, accompagnant en douceur et avec persuasion, laissant œuvrer
aussi ses propres hésitations et ses doutes. Ce travail de recherche continue
est la matière même des cahiers de mise en scène, et c’est un cadeau
inestimable que Laurent nous a laissé, certaines de ces pièces ayant de
surcroît fait l’objet d’enregistrement sur cassettes VHS ou sur DVD.
Ce
corpus ne nous rend pas la voix de Laurent, son être vibrant et passionné,
drôle et étrange, dérangeant parfois et touchant toujours. Mais il nous permet
de nous pencher sur un travail, et d’explorer une partie d’une œuvre dont
l’enseignement est toujours vivant.
Nous avons choisi de parcourir dans le détail – comme lui-même l’a fait – minutieusement, chaque étape de la création de huit pièces, chacune représentative d’un moment de sa carrière d’homme de théâtre, acteur et metteur en scène, mais aussi illustrant ses choix quant aux auteurs contemporains qu’il a souhaité faire découvrir au public français. Il s’agit de À pied de Slawomir Mrozek, Ce que voit Fox de James Saunders, Temps contre temps de Ronald Harwood, Témoignages sur Ballybeg de Brian Friel, Les Chinois de Murray Schisgal, Mon lit en zinc de David Hare, Hughie d’Eugène O’Neill et L’Habilleur de Ronald Harwood.
Danièle Sastre - 2016
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« J'ai l'impression de vivre une mauvaise
pièce en vivant ma vie, de même que j'ai le sentiment d'un mauvais roman
lorsque je la raconte. » Les thuriféraires de Laurent
Terzieff (1935-2010) seront surpris à la lecture de ces cent huit carnets de
notes, écrits de 1960 à 2000 sans être jamais datés et aujourd'hui édités sans
commentaires par Danièle Sastre, soucieuse de préserver au plus juste la parole
du comédien-écrivain. Car il écrit à merveille, celui qui s'avoue tout ensemble
amer et mystique, qui a choisi de renoncer au bonheur en affirmant que renoncer
au malheur est plus difficile encore... Dans ce recueil qui rassemble
mélancoliques poèmes d'adolescence et ingrate liste de courses, confidences
amoureuses déplaisantes et brillants développements sur Aristote, Cioran, saint
Paul, Buñuel ou le métier d'acteur, on redécouvrira une âme tourmentée et
étrangement proche par ses gouffres mêmes, ses tentations du vide, ses
petitesses. Non, celui qui s'est acharné à rendre sur scène « une parcelle de la
vérité intérieure de l'existence » n'était pas le
saint crucifié du théâtre, mais un être paradoxal, plein de dégoût et de
fièvre. Un homme brûlant, dont les méditations et les aveux qu'on peut picorer
au hasard de n'importe quelle page rayonnent superbement d'exigence et de vie.
Fabienne Pascaud
Télérama n°3231
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Stefan
Zweig, en 1941, dans ses Souvenirs d'un Européen, confie : "Je ne
m'intéressais pas à la cote dont jouissait un homme sur le marché des valeurs
et des réputations internationales ; ce que je recherchais, c'étaient des
manuscrits originaux ou les projets de poèmes, de compositions, parce que le
problème de la genèse d'une œuvre d'art, sous son aspect biographique aussi
bien que psychologique, me préoccupait plus que tout le reste. Cet instant de
transition infiniment mystérieux où un vers, une mélodie, surgissant de
l'invisible, de la vision et de l'intuition d'un génie, entre dans le monde des
réalités terrestres sous une forme fixée graphiquement, où pourrait-on le
surprendre et l'observer si ce n'est dans ces manuscrits primitifs des maîtres, nés dans la lutte ou le feu de l'inspiration, comme dans un état de transe ? Je
n'en sais pas assez d'un artiste quand je n'ai sous les yeux que son œuvre
achevée, et je souscris à la parole de Goethe : pour comprendre les grandes
créations, il ne suffit pas de les voir dans leur état d'achèvement, il faut
les avoir surprises dans leur genèse, dans leur devenir."
C'est ce qui m'a pour ma part animée, lorsque j'ai traité et retranscrit les nombreux cahiers remplis par Laurent, qui étaient plus - bien plus - que ce qu'il avait pu appeler un jour du "résiduel", qu'il s'apprêtait à laisser derrière lui, sans plus s'en soucier. Je me suis souciée, avec le soutien et l'accompagnement de sa sœur, Catherine, de ce formidable résiduel qu'il m'était impossible de laisser lettre morte.
C'est ce qui m'a pour ma part animée, lorsque j'ai traité et retranscrit les nombreux cahiers remplis par Laurent, qui étaient plus - bien plus - que ce qu'il avait pu appeler un jour du "résiduel", qu'il s'apprêtait à laisser derrière lui, sans plus s'en soucier. Je me suis souciée, avec le soutien et l'accompagnement de sa sœur, Catherine, de ce formidable résiduel qu'il m'était impossible de laisser lettre morte.